Le mariage arrangé, une pratique courante en Europe les siècles derniers, est aujourd’hui un ressort narratif incontournable utilisé notamment dans la romance et dans la fantasy. Ce trope explore des tensions entre devoir et passion, transformant des contraintes historiques en opportunités. Pourtant, derrière cette idéalisation se cache une problématique réelle encore d’actualité dans de nombreuses cultures. Retour sur les raisons du succès du mariage arrangé dans la littérature et sur les limites de cette romantisation.
Entre nostalgie historique et romance idéalisée : pourquoi les mariages arrangés fascinent-ils autant les lecteurs ?
Historiquement, le mariage arrangé a joué un rôle perçu à l’époque comme essentiel. Dans des sociétés où les unions étaient rarement motivées par l’amour, ces alliances répondaient avant tout à des impératifs économiques, politiques ou dynastiques. Elles permettaient de préserver le patrimoine, d’assurer la pérennité des lignées et de renforcer des alliances stratégiques.

Dans la fiction historique, ce contexte devient une toile de fond riche et conflictuelle. Des œuvres comme Orgueil et préjugés de Jane Austen transforment ces unions en terrains fertiles pour l’exploration des normes sociales et des désirs individuels. Dans la réalité, l’amour pouvait arriver, si tant est qu’il arrive un jour, bien après l’union. Pourtant, dans la fiction, la perspective narrative offre aux personnages la possibilité de trouver le bonheur, souvent aux dépens des conventions sociales.
Dans les sociétés occidentales contemporaines, où le mariage arrangé est perçu par beaucoup comme faisant partie d’un passé lointain, ce trope devient un terrain de jeu idéal pour les auteurs. Il combine exotisme et nostalgie, donnant naissance à des récits teintés de glamour.
Des romances royales, comme La sélection de Kiera Cass, transforment l’idée d’un mariage de convenance en une opportunité pour des personnages issus de milieux modestes d’accéder à la royauté, tout en trouvant l’amour. Cette distance historique et culturelle permet aux lecteurs de fantasmer un système qui, dans la réalité, était souvent synonyme de contraintes, si ce n’est de danger, surtout pour les femmes.
Mariage arrangé dans la fiction : un levier narratif pour explorer l’amour, le pouvoir et les dilemmes moraux
Le mariage arrangé est un levier narratif permettant de multiplier les conflits internes et externes. Les protagonistes se retrouvent piégés dans des unions où leurs sentiments initiaux, souvent marqués par la méfiance, le rejet, si ce n’est la haine, évoluent au fil du récit. Ce trope joue sur l’attraction forcée, la lutte contre les attentes sociales et la découverte de l’autre dans un cadre imposé.
Dans Le Pont des Tempêtes de Danielle L. Jensen, l’héroïne Lara est promise en mariage à Aren, le roi d’un territoire rival, dans un contexte de trahison et de guerre. Ce mariage de convenance, initialement une stratégie militaire, devient un point d’ancrage émotionnel où Lara apprend à comprendre son ennemi et à réviser ses préjugés. L’union arrangée devient ainsi un vecteur d’émancipation et d’évolution personnelle, permettant de développer une intrigue riche en retournements émotionnels.

Ce trope s’accompagne généralement d’autres schémas narratifs populaires. Le slow burn, où les sentiments se développent lentement, trouve un écho parfait dans ces récits. De même, la proximité forcée entre deux personnages diamétralement opposés, voire ennemis, comme dans le trope enemies-to-lovers, crée des tensions dramatiques captivantes et particulièrement populaires chez les lecteurs de romances. Les lecteurs apprécient cette progression lente et souvent intense vers une résolution heureuse, où les personnages transcendent leurs obligations initiales pour trouver une forme de liberté émotionnelle.
Dans Witch and God de Liv Stone, le mariage arrangé n’est pas seulement un prétexte narratif, mais un catalyseur pour l’émancipation de l’héroïne. Contrainte par les attentes de sa famille, Ella utilise cette situation pour redéfinir sa place dans le monde, se libérer des attentes de ses proches et affronter son avenir avec un partenaire qu’elle n’aurait jamais choisi consciemment. De façon plus globale, ce trope répond par contre à des codes précis où le consentement, l’honneur familial et une fin heureuse sont des éléments presque systématiques.
Fantasy : quand les alliances magiques et politiques construisent des univers riches
Dans la fantasy, le mariage arrangé va plus loin que le simple cadre romantique pour devenir un outil narratif explorant des thèmes plus vastes, comme les alliances politiques, les pactes magiques ou les luttes de pouvoir. Ces unions servent souvent à consolider des royaumes, à apaiser des tensions ou à sceller des alliances impossibles.
Dans Un pacte avec le roi elfe d’Elise Kova, le mariage arrangé entre une jeune femme humaine et un roi elfe joue un rôle central. L’union, imposée pour maintenir l’équilibre entre les deux mondes, devient un vecteur pour explorer des thématiques plus subtiles, telles que la tolérance, le compromis et la coexistence. Ce trope permet de créer des univers plus qu’intéressants, où la relation en elle-même reflète des enjeux globaux.

Dans Witch and God, l’union imposée entre deux personnages issus d’univers différents, les dieux grecs et les sorcières, devient un fil rouge narratif. Ce mariage, au-delà de son aspect romantique, introduit des conflits interculturels et des intrigues politiques, enrichissant l’univers du récit. Ce schéma est également visible dans des œuvres plus contemporaines, comme Scottish Rhapsody de Delinda Dane, où les enjeux familiaux et d’honneur jouent un rôle majeur, même dans un cadre plus réaliste.
Entre consentement et toxicité : une arme à double tranchant
Si la plupart des romances modernes insistent sur le consentement des personnages, certaines œuvres flirtent avec des dynamiques plus problématiques. Le voleur de baisers de L.J. Shen, par exemple, met en scène une jeune femme contrainte d’épouser un homme plus âgé dans une dynamique d’emprise. Ce traitement, bien que controversé, illustre la manière dont certains récits exploitent le trope du mariage arrangé pour créer une tension dramatique, au risque de romantiser des relations toxiques.
Cette ambivalence soulève des questions sur la responsabilité des auteurs dans la représentation de ces relations. Si certains récits dénoncent explicitement ces dynamiques, d’autres les présentent comme des situations acceptables, voire désirables, renforçant des stéréotypes problématiques.
Mariages arrangés et réalités actuelles : entre glamourisation et enjeux sociaux dramatiques
Le mariage arrangé, bien que romantisé dans la fiction, reste une réalité dans de nombreuses cultures. À la frontière du mariage forcé, il continue d’avoir des conséquences dramatiques sur les individus, en particulier (et toujours) les femmes. Des récits comme Les Impatientes de Djaïli Amadou Amal explorent les réalités brutales de ces pratiques, mettant en lumière les pressions sociales et les injustices systémiques qu’elles engendrent.
D’autres œuvres, comme Un thé à Téhéran de Marjan Kamali, offrent une perspective nuancée sur ces pratiques, mêlant critique sociale et espoir individuel. Il en est de même pour Le club des veuves qui aimaient la littérature érotique de Balli Kaur Jaswal. Ces récits rappellent que, derrière le vernis littéraire, le mariage arrangé demeure un sujet d’actualité, nécessitant une réflexion critique pour éviter de perpétuer des idées erronées.