Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt 2024 pour Houris, fait face à deux plaintes en Algérie. Accusé avec son épouse de violation du secret médical, l’auteur franco-algérien se retrouve au centre d’une polémique qui remet en question l’origine de son roman et creuse une fois de plus le fossé déjà en place entre lui et son pays d’origine.
Des accusations de violation du secret médical et d’utilisation non consentie d’un témoignage

Depuis la publication de Houris, deux plaintes ont été déposées à Oran contre Kamel Daoud et son épouse, la psychiatre Aicha Dehdouh. La plaignante, Saâda Arbane, une rescapée d’un massacre pendant la guerre civile algérienne, accuse le couple d’avoir utilisé son histoire personnelle sans autorisation.
Ces confidences, faites lors d’une thérapie en 2015, auraient été intégrées au roman, notamment des détails intimes comme ses cicatrices, sa relation avec sa mère et sa tentative d’avortement. Selon les informations relatées par Ouest-France, Kamel Daoud aurait demandé à Saâda Arbane s’il pouvait raconter son histoire et elle aurait refusé de façon explicite. Cette dernière indique ne pas avoir pu finir la lecture du roman car “elle s’est sentie trahie dans son intimité” après avoir lu des détails que seule sa psychiatre savait.
Dans son travail d’investigation, le journaliste ayant rendu cette histoire publique indique avoir eu accès aux échanges de SMS entre Saâda Arbane et Aicha Dehdouh, ainsi qu’au roman dédicacé que la plaignante a reçu.
L’avocate de la plaignante, Me Fatima Benbraham, avance également que cette affaire viole la loi algérienne sur la réconciliation nationale, qui interdit toute publication concernant la décennie noire (1992-2002). La plainte dénonce une « violation de l’intimité » et pose des questions éthiques. Ces révélations relancent en outre le débat sur la frontière entre inspiration fictionnelle et exploitation du vécu.
Kamel Daoud, une figure déjà controversée en Algérie
En Algérie, Kamel Daoud est une figure controversée. Déjà critiqué pour ses positions sur la Palestine et sa visibilité en France, il est perçu par certains comme un intellectuel ayant trahi les valeurs algériennes pour s’imposer dans le paysage littéraire occidental. Le fait d’aller à l’encontre de la loi sur la réconciliation nationale vient également ajouter un argument contre l’auteur. Ce dernier a d’ailleurs toujours dénoncé l’omerta qui règne autour de ce que l’on appelle la “décennie noire”.
La controverse autour de Houris exacerbe ce sentiment. Si en France, le roman est salué pour son exploration des traumatismes de la guerre civile, en Algérie, il est perçu par certains comme une exploitation des douleurs collectives.
Sur les réseaux sociaux, activistes et citoyens soulignent que cette affaire pourrait nuire à la confiance des femmes envers les professionnels de santé, notamment celles victimes de violences. Des figures publiques dénoncent également le silence de l’auteur face aux accusations.
Gallimard défend son auteur contre ces accusations
Face à cette polémique, les éditions Gallimard, qui publient Houris, ont réagi. Dans un communiqué, l’éditeur dénonce une « de violentes campagnes diffamatoires orchestrées par certains médias proches d’un régime dont nul n’ignore la nature ». Gallimard insiste sur le fait que les personnages et l’intrigue du roman sont purement fictionnels, bien que s’inspirant de la guerre civile algérienne. Pour l’heure, Kamel Daoud n’a fait aucune déclaration à ce sujet.
Le journaliste ayant interviewé la plaignante, Sabeur Younes, se défend des accusations de l’éditeur français. Il précise avoir bien conscience du caractère polémique et délicat du sujet, mais assure que son média, One TV, n’est pas une chaîne pro-pouvoir. Le journaliste rappelle d’ailleurs que son média a invité Kamel Daoud en 2018.
Cette affaire soulève des questions éthiques sur la responsabilité des maisons d’édition face à des œuvres puisant dans des récits réels. La ligne entre fiction et réalité, déjà floue dans la littérature, devient ici un terrain de contestation.
Du côté du prix Goncourt, le président de l’Académie n’a pas souhaité faire de déclaration. Philippe Claudel a simplement déclaré au Parisien qu’il n’avait “aucune déclaration à faire, n’ayant pas les moyens d’investiguer sur cette affaire”.