C’est la fin d’une ère pour les auteurs et les autrices du monde entier. Le NaNoWriMo, célèbre défi d’écriture qui réunissait chaque année des centaines de milliers de participants autour d’un objectif commun — écrire un roman de 50 000 mots en un mois — cesse ses activités. Derrière cette décision, un mélange de problèmes financiers et de controverses internes, notamment des accusations graves contre d’anciens membres de la direction. Alors que la nouvelle a provoqué une onde de choc dans la communauté littéraire, retour sur les raisons de cette fermeture et les débats qu’elle soulève.
NaNoWriMo : une fermeture annoncée via YouTube, dans une vidéo qui fait déjà couler beaucoup d’encre
C’est par une vidéo YouTube de 27 minutes, publiée lundi 31 mars 2025, que Kilby Blades, directrice du NaNoWriMo, a officialisé la fermeture de l’organisation. Dans son annonce, elle reconnaît que les difficultés financières cumulées à plusieurs controverses internes ont rendu le maintien de l’association impossible. La vidéo, mise en ligne sur la chaîne NaNoWriMo Kilby, marque un tournant brutal dans l’histoire de ce projet qui réunissait depuis 1999 des centaines de milliers de passionnés d’écriture à travers le monde.
Le format et le ton de cette annonce ont toutefois suscité des réactions partagées, en témoignent les commentaires laissés sur la vidéo YouTube ou bien les nombreux posts d’ores et déjà publiés sur Reddit. Certains internautes ont salué la transparence de la démarche, tandis que d’autres ont trouvé le ton hypocrite, avec une responsabilité donnée directement à la communauté qui n’a pas été assez au rendez-vous pour soutenir le projet.
Un commentaire dit notamment : “ Et le fait que vous disiez qu’il s’agit d’un « mauvais service » et que vous blâmiez le « ton de la communauté » est un manque flagrant de profondeur d’esprit. J’ai travaillé dans des organisations à but non lucratif, j’ai vu des gens se battre pour obtenir des financements, mais aucun d’entre nous ne blâmerait sa putain de communauté. C’est la faute de VOTRE organisation, pas la nôtre d’avoir été « indisciplinée » ou autre.”
Un autre, dans le même ton, précise : “Malheureusement, votre refus d’assumer la responsabilité des problèmes de votre propre communauté est exactement ce qui a causé l’échec de NANO. Nous avons adoré le NaNoWriMo, mais vous êtes assis ici à blâmer la communauté d’avoir essayé de vous rendre des comptes alors que vous avez refusé de le faire vous-mêmes, et cela en dit long sur vous, et non sur les gens que vous avez trahis. Parce que pour ceux d’entre nous qui ont passé des ANNÉES à soutenir NANO, cela a été ressenti comme une trahison. Néanmoins, nous sommes partis pour des choses plus grandes et meilleures, et vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous-mêmes.”
NaNoWriMo : des accusations internes de harcèlement et de mauvaise gestion ont ébranlé la communauté
Au cœur de la chute de l’organisation, plusieurs révélations ont choqué les membres actifs de la communauté. Des anciens bénévoles ont pris la parole publiquement pour dénoncer un management toxique, notamment dans la gestion des forums et des modérateurs. Des accusations de harcèlement ont été rendues publiques, notamment à l’encontre d’un modérateur en particulier, impliqué dans des accusations d’attouchements sur mineurs sur un autre site.
À l’époque, NaNoWriMo avait été pointé du doigt pour ne pas avoir pris de mesures concrètes directement et d’avoir tardé à réagir, exposant ainsi directement sa communauté. De nombreux participants ont déclaré avoir perdu confiance dans l’équipe dirigeante, précipitant une rupture nette entre la base bénévole et la direction.
Une prise de position trop neutre sur l’IA mal perçue par une partie de la communauté
Au-delà des problèmes structurels et humains, la position du NaNoWriMo sur l’intelligence artificielle a cristallisé les tensions. Alors que de nombreux auteurs et autrices expriment leur inquiétude face à l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle générative, l’organisation a choisi de défendre l’IA comme un outil légitime dans la création littéraire. Une orientation « neutre » qui a suscité de nombreuses critiques, certains écrivains allant jusqu’à se détourner du projet dès cette prise de position rendue publique.
Dans plusieurs communications, dont une mise à jour publiée sur le site officiel, l’organisation expliquait que « tous les cerveaux n’ont pas les mêmes capacités » et que l’IA pouvait représenter une aide précieuse pour des personnes en situation de handicap, d’épuisement, ou ne disposant pas des mêmes ressources cognitives, temporelles ou matérielles que d’autres. Un argument invoquant des problématiques de « classisme et de validisme », mais qui a été perçu par beaucoup comme totalement déconnecté.
Le NaNoWriMo défendait l’idée qu’« il est sain pour les écrivains de s’intéresser aux nouveautés et à l’avenir, et à ce qui pourrait influencer leur carrière ou leur pratique ». Tout en reconnaissant que certains usages de l’IA pouvaient être problématiques, l’organisation refusait toute condamnation générale, préférant affirmer sa volonté de partager des ressources « sur l’IA et toute technologie, problématique ou discussion émergente pertinente pour la communauté des écrivains ».
Dans l’ensemble, cette position d’ouverture n’a pas convaincu. De nombreux participants ont critiqué le flou volontaire autour des usages « acceptables » de l’IA et l’absence de cadre clair. Sur les réseaux, une vague de désengagement s’est opérée dès l’annonce de cette ligne directrice, certains accusant l’organisation de banaliser une technologie perçue comme menaçante pour la création humaine, ainsi que le métier d’écrivain dans son ensemble. Là où beaucoup prenaient position contre l’usage de l’IA générative, le NaNoWriMo assumait une neutralité sur le sujet.
Selon le média l’ADN, NaNoWriMo aurait également accepté un nouveau sponsor en 2024 : ProWritingAid. Le problème étant que cet outil d’assistance à la rédaction est alimenté par l’intelligence artificielle. L’objectif étant d’aider les écrivains à améliorer leur style et la qualité globale de leur texte.
Un héritage numérique et communautaire immense, mais un futur incertain pour les auteurs participants ?
Si le NaNoWriMo disparaît, son impact sur le monde de l’écriture restera considérable. C’est grâce à ce défi annuel que de nombreux auteurs et autrices ont rédigé leurs premiers manuscrits — parmi lesquels des romans bien connus comme De l’eau pour les éléphants de Sara Gruen ou Cinder de Marissa Meyer. Le mois de novembre était d’ailleurs devenu un rendez-vous incontournable pour des millions de passionnés.
Les forums, les outils de suivi de progression, ainsi que la communauté mondiale autour de l’événement constituaient un écosystème unique pour les écrivains amateurs ou professionnels. Plusieurs initiatives tentent déjà de prendre la relève, comme par exemple NaNoRebels. Reste à savoir si ces alternatives réussiront à fédérer un public aussi large sans le soutien institutionnel qu’avait réussi à créer NaNoWriMo au fil des années.
La fin du NaNo interroge aussi plus largement le manque de soutien structurel pour les initiatives littéraires indépendantes. Peu subventionnées, souvent portées par des bénévoles passionnés, ces communautés restent extrêmement vulnérables dès que survient une crise, qu’elle soit financière ou humaine.
