Basilic TropicalLes réseaux sociaux, de YouTube à TikTok, redéfinissent notre rapport à la lecture et bouleversent l’industrie du livre en elle-même. Alors que les blogs et forums dominaient autrefois le paysage littéraire, les plateformes plus visuelles et courtes sont désormais au cœur des stratégies marketing des éditeurs, influençant nos choix de lecture d’une toute nouvelle façon. Comment Tiktok et Instagram influencent notre façon d’acheter des livres ? Quel impact sur notre quotidien de lecteurs ? Quel avenir pour la critique littéraire plus traditionnelle ? Tout cela est-il forcément aussi négatif qu’on peut le penser ? Voici quelques éléments de réponse.
L’émergence des réseaux d’influence littéraire : de l’âge des blogs à l’ère de TikTok et Instagram
Il y a une dizaine d’années, les amateurs de livres se retrouvaient principalement autour de blogs, de forums spécialisés et de chaînes YouTube pour échanger leurs avis, et par la même occasion pour découvrir de nouveaux titres. Aujourd’hui, ce paysage a profondément évolué. Bien que toujours en place, ces plateformes ne dominent plus le marché de l’influence littéraire. Instagram et TikTok sont devenus les nouvelles places fortes de la communauté littéraire, où la consommation de contenu est rapide, visuelle, et souvent compulsive.
Ces plateformes, en mettant l’accent sur l’esthétique et l’image, semblent d’ailleurs réinventer la manière de promouvoir et de consommer les livres. Les éditions collector, aux couvertures soignées accompagnées de jaspages, se multiplient, répondant à une demande accrue pour des objets littéraires qui ne se contentent plus d’être lus, mais aussi exposés.
L’influence des réseaux sociaux offre ainsi une nouvelle visibilité aux auteurs indépendants et aux petites maisons d’édition, mais elle accentue aussi les disparités. Les éditeurs ayant des moyens financiers importants peuvent en effet dominer l’espace numérique, saturant les flux avec des recommandations répétitives qui laissent, au final, peu de place à la diversité.
TikTok : l’accélérateur de tendances littéraires et le catalyseur des achats impulsifs
TikTok, avec son format de vidéos courtes, a encore amplifié ce phénomène. Lorsqu’un livre est mis en avant par plusieurs comptes influents, il devient rapidement omniprésent, créant un effet de recommandation massive, poussant régulièrement à effectuer un “achat impulsif”. Pourtant, cette omniprésence peut être trompeuse : quelques vidéos peuvent suffire à créer l’illusion que « tout le monde » parle d’un même livre.
Ce format encourage également des avis tranchés et souvent simplifiés, où les critiques nuancées laissent place à des jugements beaucoup plus catégoriques. Ces critiques express, en misant sur l’émotion brute, des extraits marquants et une musique en vogue, suscitent un désir d’achat immédiat, mais peuvent aussi générer de la déception si le livre ne correspond pas aux attentes élevées qu’ils créent.
Cela avait été par exemple largement soulevé avec la publication du livre Ce don perfide d’Emily Thiede. Beaucoup de lecteurs avaient acheté le livre suite à une campagne de communication massive auprès des influenceurs littéraires. Toutefois, beaucoup avaient également fait part de leur déception après la lecture, notamment car le livre ne correspondait pas à leurs attentes.
Les clubs de lecture virtuels : une nouvelle dimension communautaire propulsée par Discord et autres plateformes
Les réseaux sociaux ont aussi favorisé l’émergence de clubs de lecture virtuels, souvent hébergés sur Discord ou d’autres plateformes de discussion. Ces groupes permettent aux lecteurs de se rassembler autour de leurs passions communes, renforçant ainsi les recommandations entre pairs. Une recommandation d’une personne proche, même s’il s’agit d’un contact virtuel, bénéficiera d’un gage de confiance plus important qu’une vidéo créée par un anonyme.
Cependant, ces espaces, parfois envahis par un trop grand nombre de participants, peuvent devenir difficiles à suivre. De plus, certaines discussions peuvent être influencées par des stratégies marketing, ce qui peut biaiser les recommandations et l’expérience de lecture partagée. Beaucoup d’influenceurs recréaient en effet ce type d’espace virtuel qui devient donc au cœur des stratégies marketing des acteurs du monde de l’édition.
Une nouvelle expérience de lecture façonnée par les réseaux sociaux
La montée en puissance des réseaux sociaux semble aussi transformer l’expérience de lecture elle-même. L’accent mis sur les beaux objets a créé une course à l’acquisition des éditions collector, souvent inaccessibles pour les budgets plus modestes. Par ailleurs, la multiplication des recommandations et des must-read peut générer un sentiment d’urgence, poussant les lecteurs à consommer plus, et donc à lire plus vite, parfois au détriment du plaisir de la lecture.
Certains lecteurs déplorent cette transformation, où la lecture devient une course contre le temps et les tendances, plutôt qu’un moment de plaisir et d’évasion. Par ailleurs, certaines maisons d’édition en profitent pour changer leur stratégie de vente. Certains livres très attendus ne sont alors proposés, dans un premier temps, que dans leurs éditions collector reliées, ce qui représente une somme significative. Cela a été par exemple le cas avec le livre Dark Shores et Danielle L. Jensen qui n’est pas proposé au format broché, de même que pour Un si fragile enchantement d’Allison Saft.
Une nouvelle place pour les genres souvent moqués par la critique traditionnelle
Les réseaux sociaux ont néanmoins permis de remettre en lumière des genres littéraires souvent dénigrés, comme la romance ou la littérature de l’imaginaire. Ces genres, longtemps considérés comme mineurs par la critique traditionnelle, trouvent désormais un public large sur des plateformes comme Instagram et TikTok. Ces plateformes s’imposent ainsi comme un espace d’expression sans les filtres du snobisme littéraire.
Booktok / Booktsta : Une influence biaisée qui favorise certains titres et limite la diversité
Cependant, cette influence des réseaux sociaux n’est pas sans conséquence. En favorisant les livres déjà populaires, les algorithmes de ces plateformes tendent à renforcer les tendances déjà en place, au détriment de la diversité littéraire.
À titre d’exemple, en ce moment, les genres en vogue, comme les fantasy sur fond de mythologie grecque ou les dark romances, saturent le marché, laissant peu de place aux œuvres s’inscrivant dans un autre registre, mais qui n’en reste pas moins méritante.
Une opportunité pour les livres en manque de visibilité ?
Malgré tout, les réseaux sociaux offrent une opportunité sans précédent pour les auteurs auto-édités et les petites maisons d’édition. Grâce à une mobilisation stratégique, il est possible de rendre virale une œuvre qui aurait eu habituellement du mal à se faire une place. Malgré ça, il ne faut pas négliger qu’une maison d’édition ayant les moyens de payer pour cette visibilité partira toujours avec un avantage.
À noter que ces plateformes ont également permis de donner plus de visibilité à des thèmes longtemps invisibilisés dans le monde de l’édition. Cela concerne notamment des histoires plus inclusives, avec une meilleure diversité dans le récit. Grâce au travail de nombreux influenceurs présents sur ces réseaux sociaux, les problématiques présentes dans le monde du livre sont soulevées, conscientisées et les mentalités semblent doucement changer.
Quel avenir pour la critique littéraire traditionnelle ?
Face à l’essor des réseaux sociaux, la critique littéraire traditionnelle semble perdre de son influence. Toutefois, la forme n’est peut-être pas le principal problème. Cette perte d’intérêt, au profit des influenceurs, pourrait s’expliquer par le fait que la critique traditionnelle à souvent fait preuve d’élitisme. Encore aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des journalistes faire preuve de mots très durs, si ce n’est particulièrement révoltants, quand il s’agit de genres considérés comme étant de la “sous-littérature”.
Pour autant, cela n’implique pas nécessairement la fin de la critique littéraire traditionnelle. Cette dernière doit cependant évoluer, en intégrant les codes et les attentes des nouvelles générations de lecteurs, et en reconnaissant la légitimité de tous les genres littéraires. L’avenir de la critique réside peut-être dans sa capacité à s’adapter, en combinant rigueur et ouverture d’esprit.
